L’Université Paris VIII est l’évolution du Centre Universitaire Expérimental de Vincennes (CUEV), fondé en 1969 grâce à l’ébullition intellectuelle suivant mai 1968. Bien que fondé grâce à la volonté d’Edgar Faure, alors Ministre de l’Education Nationale, ce lieu a très souvent vécu des frictions avec le pouvoir, et son existence a souvent été remise en question. On peut définir plusieurs objectifs primordiaux ayant définis son organisation :
- Le partage du savoir ouvert à tous : dès la première année, malgré les réticences du Ministère de l’Education Nationale, le Centre Expérimental s’ouvre aux salarié.e.s et aux non-bachelier.e.s en centralisant la moitié des cours en soirée après 19h ou le samedi, en accueillant une crèche pour permettre aux parents de pouvoir suivre des cours, et en ne séparant pas les élèves « lambda » des non-bachelier.e.s et des salarié.e.s. Cette proposition inédite rencontre un réel succès, puisque dès 1969, plus d’un tiers des 8000 étudiant.e.s inscrit.e.s sont non-bachelier.e.s, et représentent la moitié des 12 000 étudiant.e.s en 1971[1]. Ces chiffres ne plaisent guère au Ministère, encore moins lorsque la présidence vincennoise lui demande d’élargir ce procédé à d’autres universités.
- La lutte contre l’enseignement bourgeois : les formes traditionnelles de l’enseignement sont abolies. On voit disparaître les cours d’amphithéâtre et magistraux, laissant leur place à des enseignements à la fois théoriques et pratiques, en groupes réduits, ce qui modifie profondément les rapports humains et les relations professeur.e.s-élèves.
- L’élargissement du partage des connaissances : l’art, l’urbanisme, la psychanalyse, ou encore les sciences de l’éducation sont désormais enseignés. Ces disciplines inhabituelles s’accompagnent d’un rassemblement des enseignements traditionnellement séparés, celui des langues, des lettres, des sciences et du droit par exemple.
Mais le manque d’espace (en 1968, le projet ministériel était de mettre 30 000 m² à disposition de 7 500 étudiant.e.s, or, en 1971, seuls 16 000 m² sont construits, alors que l’Université accueille plus de 12 000 étudiant.e.s), le délabrement progressif des locaux et des troubles dans la gestion administrative deviennent alors un argument pour la ministre des Universités, Alice Saunier-Seïté, pour délocaliser l’Université en dehors de Paris, dans un espace alors très peu accessible, rue de la Liberté à Saint-Denis. Le déménagement de cette Université ouvertement de gauche dans une ville communiste aurait pu sembler acceptable pour la présidence, mais ni les habitant.e.s de Saint-Denis, ni les étudiant.e.s et enseignant.e.s ne souhaitent transférer les locaux, c’est pourquoi cet événement sera vécu comme un traumatisme pour beaucoup. Cette époque, appelée celle du « démantèlement », est caractérisée par quatre ans de lutte contre ce délogement. Malgré cela, les bâtiments Vincennois sont détruits, sous protection policière, et les enseignements sont relocalisés dans les locaux dionysiens.
Aujourd’hui, l’Université Paris VIII est plus normalisée que le CUEV : l’importance de l’expérimentation tend à s’effacer, et les formats des cours, la vie étudiante, les rapports professeur.e.s-élèves, ressemblent de plus en plus aux modèle des autres universités parisiennes. On note cependant la persistance de certaines originalités pédagogiques (comme la rareté des cours en amphithéâtre ou les enseignements pratiques) et de la volonté d’ouverture sur les sociétés, sur l’histoire et sur le croisement des savoirs, par la mise en place, entre autres, de coopérations internationales et de projets multidisciplinaires.
Avec un campus à Saint-Denis, à Montreuil (1992) et à Tremblay (1998, tous deux des Instituts universitaires de technologie), Paris VIII compte environ 21 700 étudiant.e.s, 1 008 enseignant.e.s (dont un grand nombre sont également chercheur.se.s) et 742 emplois administratifs. Le campus dionysien a régulièrement été agrémenté de nouveaux bâtiments, et a subi de remarquables mutations depuis le déménagement de l’Universités, notamment avec la construction d’une très grande bibliothèque. Outre ces ajouts physiques, de nouveaux départements voient le jour avec des enseignements comme l’informatique, la communication, l’environnement ou l’archivistique.
Malgré sa disparition en tant que « Centre Expérimental », et les nombreuses difficultés rencontrées, ce lieu reste le seul à avoir fait l’expérience de l’expérimentation sur le long terme, et à avoir proposé un type d’enseignement alternatif, qui aurait sans doute pu se développer plus largement si la volonté du pouvoir allait dans ce sens. Cette Université garde les traces novatrices et pédagogiques de son géniteur vincennois, malgré son inclusion toujours plus forte dans la capitale, caractérisée par la standardisation de son organisation, par l’arrivée des Archives Nationales en face, du métro, ou encore par le projet du Grand-Paris.
Beaud, M. (1971). Vincennes an III: le Ministère contre l’Université. Paris: J. Martineau.
Brunet, J., Cassen, B., & Azzoug, M.-L. (1979). Vincennes ou Le désir d’apprendre. Paris: A. Moreau.
Dijan, J.-M. (2009). Vincennes: une aventure de la pensée critique. Paris: Flammarion.
Merlin, P. (1980). L’Université assassinée: Vincennes, 1968 – 1980. Paris: Ramsay.
Soulié, C., & Charle, C. (2012). Un mythe à détruire? Origines et destin du Centre universitaire expérimental de Vincennes. Saint-Denis: Presses universitaires de Vincennes.
Berger, G., Courtois, M., & Perrigault, C. (2015). Folies et raisons d’une université: Paris 8, de Vincennes à Saint-Denis. Paris: Pétra.
Chaumet, P.-O., Laingui, J., & Puigelier, C. (2017). De Vincennes à Saint-Denis: la faculté de droit de Paris 8. Paris: Mare & Martin.
[1] Chiffres donnés par M Beaud dans (1971). Vincennes an III: le Ministère contre l’Université. Paris: J. Martineau.